Depuis sa rencontre avec l'instantané, Philippe n'a cessé d'expérimenter. Avec différents appareils, et avec le support pola lui-même. Car il n'hésite pas à transformer certaines de ses images, à l'aide de manipulations créatives, pour leur ajouter une touche organique.
Interview : Philippe Galanopoulos
Comment es-tu venu à la photo instantanée, et quelle place tient-elle aujourd’hui dans ta production photo globale ?
C’est une gifle qui m’a conduit à la photo instantanée ! Je m’explique. J’ai commencé en 2013 avec un appareil numérique. Chaque jour, sur le chemin du travail, j’arrêtais les passants dans la rue et leur proposais un portrait-minute. Je n’avais que peu de temps. Je faisais mes photos entre la Gare Montparnasse et le Jardin du Luxembourg. J’ai élargi progressivement ma démarche aux commerçants du quartier. L’un d’eux m’a demandé des photos pour son site internet.
Il y avait ce jour-là, assise à une table, une jeune femme qui buvait son café ; je lui ai demandé si elle pourrait accepter de figurer sur l’une ou l’autre de mes photos. Elle m’a dit que oui. J’ai donc fait mes photos. En arrivant chez moi, je les ai envoyées au patron et à sa cliente. Celle-ci m’a répondu que ça ne valait rien, ajoutant qu’elle était « modèle », qu’elle posait pour des photographes, des « vrais », des « maîtres » en la matière. Ce fut la première gifle. Je fis quelques recherches sur le net et ne tardai pas à trouver lesdites photos : celles des « maîtres ». En effet, elles étaient magnifiques ! Or, il n’y avait là que des photos instantanées. Ce fut la deuxième gifle !
Je ne pensais pas qu’on pouvait obtenir de tels résultats avec un polaroid. J’avais même oublié que cela existait. Ma femme en possédait un ; mon père en avait deux ou trois rangés au fond d’une armoire. Il me fallait absolument les essayer. Le week-end suivant, j’avais un box 600 entre les mains. C’est ainsi que j’ai pris ma première photo instantanée au printemps 2014. Et depuis lors, je n’ai plus arrêté. J’ai complètement délaissé le numérique (pratique, mais désenchanté) ; je me suis remis il y a peu à la photographie argentique qui, comme l’instantané, me procure un véritable plaisir.
Quel matériel, appareils et accessoires, utilises-tu pour créer tes polas ?
J’ai commencé avec des appareils très basiques : un Polaroid Supercolor 635, un Polaroid 630 Lightmixer et un Polaroid 660 Autofocus. Je voulais vraiment avoir avec moi au quotidien deux boîtiers : l’un pour la couleur et l’autre pour le noir & blanc. J’ai rapidement cherché à tester les films Fuji FP-100C et Fuji FP-3000B. Je me suis acheté pour cela un Polaroid EE66. C’est un appareil assez rudimentaire et peu fiable. En tout cas, je ne l’ai pas trouvé adapté à ce que je voulais faire.
Au final, je reste très attaché au format 600. Aujourd’hui, j’utilise en permanence un Polaroid SX-70 Model 2 pour la couleur et un Polaroid SLR680 pour le noir & blanc. Un copain photographe, Charles Pélerin, m’a laissé un Polaroid 250 avec lequel je shoote de temps en temps, disons quand je trouve des films Polaroid ou Fuji à des prix raisonnables. J’ai aussi un Image 2, mais je ne l’utilise pas beaucoup. J’aime pourtant le format spectra. Je possède d’ailleurs un ensemble de filtres à effets spéciaux pour ce type d’appareil. En fait, j’utilise les filtres quel que soit l’appareil, en les associant parfois à des gélatines de couleur. Pour mes filles, j’ai acheté un Instax mini 8, mais bon, ça reste un gadget.
Tu sembles apprécier aussi bien la couleur que le noir et blanc. Si demain l’un des deux types de film n’était plus disponible, lequel préférerais-tu garder, et pourquoi ?
Ma préférence va au noir & blanc ; j’ai mis du temps à me familiariser avec la couleur. Maintenant, j’arrive à peu près à penser et à voir en couleur. Mais cela me demande – paradoxalement – un grand effort de concentration. A vrai dire, je n’aime pas beaucoup le « bruit » en photographie. Or dans la rue, chez les gens, dans la nature, il y a du « trop » et il y a du « plein ». Or, ce « trop plein », la couleur le reproduit dans l’image. L’avantage avec le noir & blanc, c’est qu’il atténue cet effet. Il a cette qualité (à mes yeux) de réduire au maximum ce « bruit » de fond, de ramener toute cette explosivité extérieure à une certaine forme de repos, de réduire la profusion à une simple tension binaire. On compose plus facilement en noir et blanc ; on va plus aisément à l’essentiel… Et puis, avec les films Impossible ou Polaroid Originals, les noirs et les blancs prennent souvent des teintes marrons ou crèmes ; ils offrent en outre d’intéressantes nuances de gris. Autrement dit : le noir & blanc n’est jamais que du noir et du blanc. Il relève plutôt du camaïeu.
Quels sont les différents types de manipulation ou de transformation que tu appliques parfois à tes polaroids ?
En fonction des projets, des ratages ou des effets recherchés, je me permets à peu près tout : il m’arrive de peindre ou de dessiner sur les photos ; d’y ajouter des plumes ; de découper les photos, d’en assembler deux entre elles ou de les coller sur différents supports ; de les mettre à cuire (pour voir) ; de les plonger dans l’eau (pour voir) ; de les décoller ; de pratiquer le transfert d’image ou d’émulsion ; de les recouvrir de papiers transparents ; etc. Il n’y a pas de règle : juste des idées, des essais et du plaisir.
Tu travailles beaucoup avec le format pola “vintage”, mais aussi avec le format Instax Mini. Dans quels types de situations fais-tu appel à celui-ci ? Qu’est-ce qui t’intéresse particulièrement dans le format et le film Instax de Fujifilm ?
Dans ma pratique, l’Instax est un accident. J’ai voulu tester. J’ai essayé d’en tirer quelque-chose. Mais le format de base, pour moi, ça reste le 600, et ce quelle que soit la firme qui produit le film : qu’il s’agisse des anciens films Polaroid expirés, des films Impossible Project ou des nouveaux Polaroid Originals. J’aime le format 600 et la maniabilité des appareils avec lesquels je prends mes photos. J’ai besoin d’un boîtier léger, qu’on peut emporter avec soi au quotidien sans être obligé d’avoir en permanence un trépied et un lightmeter. L’Instax pourrait répondre à ces critères, mais le traitement photographique ne me plaît pas : il manque de grains, d’altérations chimiques, d’aléatoires, bref de poésie. Il se rapproche trop du numérique.
Peux-tu me présenter une de tes photos qui te tient particulièrement à cœur, que tu es heureux d’avoir prise ?
Je suis comme beaucoup de mes camarades photographes : la photo qui me tient plus particulièrement à coeur, c’est celle que je vais prendre demain matin, ou après demain. C’est celle qui reste à faire…
Mais puisqu’il faut jouer le jeu, je dirais que celle dont je suis le plus heureux est l’une de mes toutes premières photos instantanées : il s’agit d’un portrait d’Ana, une étudiante albanaise venue étudier à Paris en Erasmus. J’ai mis beaucoup de temps à composer cette photo. J’ai pris soin de bien positionner le visage d’Ana, sa main, son corps, par rapport à l’ombre projetée de la fenêtre au sol et sur un pan de mur. Je (re)garde cette photo un peu comme une photo fétiche ; d’ailleurs, c’est elle qui se trouve sur la page d’accueil de mon site. C’est très étrange, car c’est un Round Frame. Je crois que je n’ai utilisé ce format qu’une seule fois !
Lorsque j’ai rencontré Ana, elle achevait sa formation. A la suite de cette photo, on s’est donné RDV tous les mercredis midis pour une heure de photo. Au total on ne s’est vus que huit fois une heure, soit l’équivalent d’une journée sur deux ou trois mois. C’est peu, mais ça constituait, pour elle comme pour moi, un repère dans le temps, un moment attendu dans la semaine. Au fond, la photo, c’est ça : une parenthèse, une bouffée d’oxygène, un moment de partage et de créativité dans le mouvement d’asphyxie et d’atonie qui charrie l’essentiel de nos jours.
Sais-tu à peu près combien de polaroids compte ta collection ?
Aucune idée. Je dirais quelques centaines. Je ne compte pas. Je connais en revanche le nombre de photos que je n’ai pas prises, et celle que j’ai ratées. Des milliers.
Suis-tu une méthode particulière pour les organiser et les archiver ?
Je les mets dans une enveloppe sur laquelle je note systématiquement le lieu, la date et le nom des personnes représentées. Parfois, j’écris un texte d’accompagnement. Je conserve ces enveloppes dans des boîtes à chaussures. Je possède également quelques journaux photographiques dans lesquels coexistent textes et photos. Je scanne toutes mes photos, positifs comme négatifs. Les fichiers sont archivés dans des répertoires datés et classés par année.
Il m’arrive de temps en temps de détruire certaines photos et d’effacer quelques fichiers. Le temps est le meilleur des juges. Ces boîtes à chaussures sont de véritables purgatoires.
Quels photographes, ou quels artistes issus d’autres univers que la photographie, t’inspirent le plus ?
Dans un monde comme le nôtre, dominé par la technologie, le flot d’images finit par laisser une empreinte indélébile dans nos esprits. Ce sont des milliers d’images que nous voyons chaque jour. Je crois que notre « inspiration » première vient de là – malheureusement, elle est avant tout publicitaire. L’oeil est grégaire ! Il reproduit (ou tend à reproduire) ce qu’il a aimé, ce qui l’a séduit, et surtout ce qu’il est habitué à voir depuis longtemps, et plus encore depuis que l’écran a remplacé le monde. Je ne crois pas beaucoup à l’originalité. Nous nous copions tous, en permanence. En revanche, je veux bien croire au talent.
Ma formation est classique, mes références le sont aussi. Je n’innove pas. Je ne cherche pas à innover. Je ne crée rien de neuf. J’enregistre simplement ce que je vois, selon des règles très anciennes. J’essaie au moins d’être rigoureux et le plus sincère possible dans ma pratique. Il me faut un minimum de vérité ; pour moi, l’image ne doit pas être une chimère : c’est pourquoi je préfère la rue au studio, le soleil au flash, et les passants aux modèles patentés.
Dans le domaine de l’instantané, il y a beaucoup de photographes que j’admire. Les premiers noms qui me viennent à l’esprit sont : Philippe Bourgoin, Patrick Cockpit, Raul Diaz, Elizabeth Hermann (Elizerman), Fabien Dettori (Cirkus), Agafia Polynchuk, sans oublier (il me tuerait sans cela) mon ami, le truculent Axakadam, et tant d’autres…
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